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Coronavirus : récit de Meriem Cherouati; technicienne d'intervention en loisir au front.

Le CHSLD de LaSalle s’est retrouvé souvent dans les médias à partir du 30 mars lorsque Radio-Canada a publié un article déplorant un décès et 11 cas reliés au coronavirus dans cette résidence. Mon invitée d’aujourd’hui, la technicienne en loisir Meriem Cherouati, œuvre dans un milieu où la souffrance et la mort sont quotidiennes, beaucoup plus qu’à l’habitude. Meriem est au front. Malgré tout, elle garde le moral et continue de faire ce que l’on sait faire le mieux en loisir : « Je ne suis pas là pour soigner personne, mais je peux mettre des baumes sur des cœurs. »


« J’ai fini par réaliser que de faire des actions aussi pour les employés, ça aidait beaucoup pour l’esprit et le moral de tout le monde. En même temps, indirectement, si les employés sont dans de meilleures dispositions, ça aide les résidents. J’ai justifié de cette façon pour me déguiser en clown, pour faire une arche de ballons… Tout le monde me disait que j’étais folle. Ça en prend une! J’étais en train d’installer les ballons et trois préposés sont passés devant et ont eu l’idée de prendre des photos. Ils m’ont dit “C’est super beau, merci”. Ça fait du bien. »


C’est un court moment qui rappelle aux employés pourquoi ils se donnent corps et âme pour sauver des vies : « Nous, on a frappé un mur [en tant que centre, avec un grand nombre de cas, NDLR]. Ça a été gros, c’est encore gros aujourd’hui. Hier [le 7 avril, puisque l’entrevue a été menée le 8 avril, NDLR], c’est sorti dans les médias qu’on a 29 cas et 14 décès. C’est difficile, mais personnellement, je suis rendu dans le lâcher-prise, car je ne peux pas contrôler ce qui se passe. J’y vais au jour le jour, ça me permet d’être moins sur les nerfs. De rire un peu, ça allège les choses. Ça n’empêche pas que je suis sérieuse quand c’est le moment de l’être. »


Depuis le début de la pandémie, la situation a changé régulièrement, au gré des nouvelles consignes prononcées par le gouvernement.

« Au début, je faisais mes activités comme d’habitude. Par la suite, on m’a dit de faire des activités avec seulement 10 personnes maximum. À ce moment, aucune visite n’était permise, donc je n’avais plus de bénévoles. Je priorisais certains résidents pour y participer, mais c’était crève-cœur. » Par la suite, ça a été 5 personnes maximum, tout en respectant absolument la distance de 2 mètres entre chaque personne. Ce n’est pas évident de trouver des idées d’animation dans ce contexte. Néanmoins, une belle idée a été mise en application : « J’ai fait le bingo aux portes parce qu’à partir de ce jour-là, aucun rassemblement n’était permis. ». Elle a aussi remis des mots cachés, mais « mon pourcentage de gens qui sont capables de les faire seuls est limité. » Des résidents ont vécu de la frustration, car, par exemple, « il y en a beaucoup qui sont capables de les faire cognitivement mais ne sont plus capables de bouger le bras. »


Meriem nomme une grande inquiétude au fur et à mesure de tous ces changements quasi quotidiens. Lorsque les premiers cas ont été connus dans le centre, elle a réalisé que la situation était très sérieuse et qu’elle a été en contact avec plusieurs résidents. «Ça a pris du temps avant que ça sorte dans les médias, mais c’était déjà la panique chez nous. » Le soutien des collègues a été primordial et l’a aidé à tenir le coup, mais aussi à déterminer quelles mesures prendre afin d’assurer la sécurité de tout le monde, tout en pouvant continuer de divertir les résidents qui en avaient bien besoin.

Mais rapidement, une autre consigne a été reçue. Comme plusieurs collègues, Meriem a été mandatée à « aider les préposés à nourrir les gens », en lien avec le décret ministériel disant que tout employé du réseau peut être appelé à réaliser tout type de tâches. «On manquait d’employés partout, donc nous sommes restés. Ça ne faisait pas la joie de tout le monde. »


Quelques jours après, les médias ont commencé à parler de ce qui se passait dans ce CHSLD, donc encore plus de familles appelaient pour prendre des nouvelles. « J’ai eu accès à un ordinateur avec Skype. On a voulu me déléguer de rassurer les familles. » Meriem n’avait pas accès à tous les équipements de protection, donc elle a accepté de le faire uniquement pour les résidents n’ayant pas la COVID-19 ni de symptômes. Il y a eu une situation d’un résident en fin de vie et ayant la COVID-19. Sa fille pleurait sans cesse au téléphone. Meriem et sa gestionnaire se sont donc arrangées ensemble pour que cette dame puisse faire un Skype avec le résident : « On a donné le téléphone à un préposé aux bénéficiaires qui avait la visière, le masque, les gants et la blouse. La personne a pu voir son père qui est en fin de vie… » Plusieurs personnes tentent de plusieurs façons d’apercevoir leur famille par la fenêtre, ne serait-ce que quelques instants : « C’est triste parce que beaucoup s’inquiètent, pas seulement que leur parent aille le virus, mais aussi qu’ils manquent de soins, car il y en a beaucoup qui sont dépendants pour être nourris… Ça affecte beaucoup de monde autour de ces résidents.»


En entendant son récit, il est permis de se demander comment le personnel continue de garder le moral au quotidien : « Même moi, des fois, je me demande comment je fais.

Au début, c’était plus difficile. Je ne veux pas dire que je me suis habituée, parce que tu

ne t’habitues pas. Je ne veux pas non plus m’habituer à ça et devenir sans cœur… Ce qui rend ça plus facile, c’est d’apprendre à connaître les résidents. Je vois davantage le décès d’une personne très malade comme quelqu’un qui est libéré. C’est sûr que c’est triste, on s’attache à ces gens. Personnellement, je m’attache beaucoup aux familles. C’est ça qui me fait le plus de peine, plus que pour la personne malade. »


Il faut beaucoup de résilience et de créativité afin de passer à travers ce type d’épreuve. Heureusement que le CHSLD de LaSalle peut compter sur les baumes et le grand cœur de Meriem Cherouati.


Sébastien Tremblay


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Dans le prochain texte, je vous amène aux Habitations Bordeleau avec la technicienne en loisir, Judith Bérard. Cette résidence pour personnes âgées n’a qu’un cas de la COVID-19 jusqu’à présent. Je vous promets un texte plus léger néanmoins teinté d’autant de résilience et de créativité.




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